Sommes-nous trop nombreux sur la planète ? - (Sur)population et réchauffement climatique

Sujet brûlant, clivant et souvent mal maîtrisé, la question de la surpopulation a tout pour être mise sur la table lors du dîner de Noël en famille. Si vous n’avez su que répondre aux déclarations de votre oncle climatosceptique lors du réveillon ou que le sujet vous intéresse tout simplement, ne bougez plus, vous êtes au bon endroit !

 

Dès 1798, l’économiste britannique Thomas Malthus s’était posé la question de l’inadéquation entre les courbes de croissance de la production des ressources (linéaire) et celle de la population mondiale (exponentielle). De l’inquiétude concernant les ressources, nous sommes passés à celle de la pollution, puis enfin au danger que représentent les émissions de gaz à effets de serre.

Alors que nous avons franchi le 15 novembre dernier le seuil des 8 milliards d’êtres humains sur Terre, l’éternel débat de la surpopulation refait surface. Cependant, comme souvent, particulièrement lorsqu’il s’agit de prévisions, le sujet est plus complexe qu’il en a l’air. Baisse de la fécondité, inertie démographique, éducation des femmes… de nombreux éléments entrent en compte et complexifient la question. Les prévisions scientifiques s’en retrouvent parfois éloignées, ce qui ne facilite pas la compréhension du public. Alors, est-on vraiment trop nombreux sur Terre ? Le sera-t-on un jour ? Est-ce vraiment la bonne question ? Dans cet article, tentons d’éclaircir un peu cette association changement climatique – surpopulation. Nous verrons que s’il existe plusieurs leviers, pas forcément si restrictifs qu’on pourrait le penser, pour réduire la population mondiale, il est probable que nos inquiétudes doivent être nuancées et la question abordée différemment.

La population mondiale dans l'histoire

Durant près de 200 000 ans, la population sur Terre était d’environ 500 000 êtres humains. La planète abritait alors autant d’habitants que Toulouse en accueille aujourd’hui ! En 10 000 avant J-C, nous étions autour de 2 millions d’individus. En l’an 0, 190 millions de personnes peuplaient la Terre. Nous avons passé la barre du milliard d’êtres humains sur Terre autour de 1800, puis, en l’espace de deux siècles, ce milliard a été multiplié par 6, et le cap des 8 milliards a été franchi fin 2022.

Cette explosion démographique récente s’explique par le passage d’un modèle de société à un autre. Pendant très longtemps, le point d’équilibre, c’est-à-dire le nombre d’enfants par famille nécessaire au renouvellement des générations, correspondait à 6 enfants par femme. Autrement dit, pour que deux parents engendrent deux enfants qui deviennent parents à leur tour, il fallait que le couple ait 6 enfants, du fait de la mortalité infantile. De ce modèle familial, encore en vigueur il y a quelques siècles, nous sommes passés à un modèle n’exigeant plus que 2 enfants par femme comme point d’équilibre. Cette baisse du seuil de renouvellement des générations est due à la chute de la mortalité infantile, elle-même liée aux progrès techniques dans de nombreux domaines (médical, éducatif, alimentaire…).

L’explosion de la population mondiale correspond à la période de transition d’un modèle à l’autre, c’est-à-dire le temps que les parents mettent pour « comprendre » ou du moins se décider à faire moins d’enfants. Durant cette période, les parents continuent de faire autant d’enfants qu’avant, alors que la mortalité infantile a déjà baissé. Ajoutons que les progrès techniques qui font baisser la mortalité infantile permettent aussi à la population de vieillir plus longtemps, ce qui contribue également à la faire croître.

Quelles prévisions ?

Les projections sur les décennies à venir semblent très partagées du fait de la visibilité médiatique de certaines études, qui vont plutôt à l’encontre du consensus. C’est le cas notamment du travail de James Pomeroy, économiste chez HSBC, qui prévoyait cet été une division par deux de la population mondiale d’ici à 2100, liée à la chute du taux de fécondité. Les travaux sur le sujet sont en réalité probablement moins partagés qu’ils en ont l’air, mais laissent tout de même place à des projections différentes.

Le consensus table sur une augmentation de la population mondiale pour plusieurs décennies encore, suivie d’une stagnation voire d’une diminution. Les débats concernent principalement le moment où surviendra ce ralentissement de la croissance démographique. Certaines études le situent dès l’entame de la seconde moitié du siècle, d’autres autour de 2100 seulement. Parmi les travaux de référence, aucun ne prévoit de dépasser les 11,5 milliards d’êtres humains sur Terre avant 2100, et rares sont les études estimant la population mondiale à moins de 8 milliards à la fin du siècle.

Les dernières prévisions des Nations Unies indiquent que nous serons 9,7 milliards en 2050, puis environ 10,4 milliards vers 2100.

L'inertie démographique

L’inertie démographique est l’une des notions importantes à comprendre lorsque l’on aborde le sujet. Elle correspond au décalage entre la baisse de la natalité et la diminution de la population. En effet, lorsque le taux de natalité diminue pour atteindre le seuil de renouvellement des générations (environ 2,1 enfants par femme), comme c’est le cas de nombreux pays ces dernières années, la population ne diminue pas immédiatement. On assiste d’abord à une phase dite de remplissage, durant laquelle les jeunes, nombreux du fait du taux de natalité positif durant plusieurs années, vieillissent et investissent les catégories d’âge supérieures, faisant mécaniquement augmenter la population totale durant encore plusieurs décennies. Diminuer les naissances dès demain, c’est voir la population commencer à diminuer dans plusieurs dizaines d’années…

Concernant les effets d’une telle initiative de diminution des naissances sur le changement climatique, une seconde force d’inertie entre en jeu. Diminuer les naissances ferait tout d’abord diminuer le nombre d’enfants, or les enfants… sont ceux qui émettent le moins de gaz à effets de serre.

Les facteurs de l'évolution démographique et les leviers d'action

En ce qui concerne les facteurs majeurs de l’évolution démographique, plusieurs éléments entrent en compte sur lesquels nous pouvons agir plus ou moins efficacement.

Le premier levier, qui ne peut résulter que d’une volonté politique, nous vient en tête immédiatement. Il s’agit de réguler les naissances en fixant un nombre maximum d’enfants par femme, comme cela a été fait en Chine de 1979 à 2015. La « politique de l’enfant unique » a consisté à pénaliser les parents de plus d’un enfant, mais aussi à des avortements et des stérilisations forcés. Au-delà des dérives du régime chinois dans l’application de cette politique, ce levier d’action présente certains désavantages. En plus d’être très discutable en matière de libertés individuelles, ce contrôle des naissances n’a pas été si efficace que prévu et les démographes s’accordent à dire que ce type de mesure, même dans ses applications les plus restrictives, est relativement peu efficace pour limiter la croissance démographique. Même dans le cas où une politique de l’enfant unique extrêmement stricte serait mise en place dès aujourd’hui en France, il faudrait attendre 2100 pour que la population soit divisée par deux, du fait de l’inertie démographique.

L’éducation des garçons mais surtout des filles à la contraception s’avérerait être un moyen très efficace et autrement plus vertueux sur le plan individuel. En effet, selon un rapport de l’UNFPA, près de la moitié des grossesses dans le monde ne sont pas désirées. Chaque année, ce sont 121 millions de femmes qui tombent enceinte sans l’avoir voulu. L’éducation, mais aussi la mise à disposition de contraceptifs (compliquée dans certains pays par la récente crise sanitaire) est donc un facteur majeur de l’évolution des naissances.

Le développement de l’économie est étroitement lié à l’évolution démographique pour diverses raisons. Un pays dont l’économie se développe voit des emplois apparaître, ce qui pousse les femmes à investir le marché du travail et provoque ainsi une baisse de la fécondité. Une économie prospère permet également la mise en place de systèmes de retraite qui sécurisent les vieux jours des aînés et dissuadent les familles les plus pauvres de faire beaucoup d’enfants pour assurer leur avenir.

Une économie qui se développe, c’est parfois moins d’habitants, mais c’est toujours des taux d’émissions de gaz à effets de serre par personne qui montent en flèche. Or, l’inquiétude principale que suscite la croissance démographique, c’est justement l’augmentation des émissions. En s’inquiétant avant tout de la croissance démographique dans un problème à deux variables, on risque de prendre le problème par le mauvais bout.

Sommes-nous trop nombreux ou consommons nous trop ?

La question de la surpopulation dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique présente donc deux variables principales : le nombre d’êtres humains sur Terre, et la manière dont ils vivent (consommation, émission de GES…). En apparence, jouer sur le levier de la croissance démographique semble être l’une de deux solutions qui se valent. Or cette vision simpliste des choses omet plusieurs nuances. Elle repose tout d’abord sur une fausse prémisse : nous émettrions tous autant de gaz à effets de serre, et un citoyen saoudien (21 tonnes de CO2 émises par an) aurait autant de poids dans la balance qu’un citoyen congolais (30kg de C02/an). Réduire la population mondiale de façon indifférenciée n’est donc pas pertinent. De plus, lorsque l’on sait que vivre en émettant 2 tonnes de CO2 par an est non seulement tout à fait possible mais également nécessaire pour respecter les accords de Paris, réduire notre impact écologique semble être un bien meilleur levier d’action.

Diminuer une population plutôt qu'une autre ?

La question est alors souvent posée d’agir sur la natalité des pays en développement, futurs grands pollueurs et théâtre d’une explosion démographique. Mais au vu de la croissance démographique de la plupart de ces pays et de la croissance de leurs émissions de GES, rien ne semble indiquer qu’ils vont rattraper les pays riches dans les prochaines années. Or il est important d’avoir en tête que la question climatique concerne justement ces prochaines années et nous laisse un laps de temps très court pour agir. Ajoutons qu’une grande partie des émissions de plusieurs pays comme le Nigeria proviennent de l’industrie pétrolière, qui profite bien plus aux consommateurs occidentaux qu’aux nigérians, et ce indépendamment de la taille de la population nigériane.

Diminuer la population mondiale, une entreprise trop lente

Une étude de référence sur l’effet de la croissance démographique (O'Neill & al.) a montré que suivant différents scénarios étudiés par les Nations Unies, les émissions totales de CO2 ne changent pas assez significativement pour que la variable démographique constitue un levier pertinent (-4% sur 30 ans avec une projection à -0,5 enfants / femme par rapport à la tendance actuelle). Les émissions de GES doivent être réduites drastiquement et de toute urgence, ce que l’inertie démographique, couplée à l’inefficacité à court terme de la diminution de la population sur les émissions de GES ne permettent pas.

Ajoutons que la multiplication « Nombre d’êtres humains x CO2 émis par être humain » est un calcul dont les termes ne sont pas indépendants : « Est-ce qu’étant deux fois moins nombreux, nous fermerions la moitié des puits de pétrole ? » interroge Emmanuel Pont, auteur du livre Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?.

Conclusion

Ainsi, la croissance démographique est un facteur du changement climatique auquel on accorde souvent un poids probablement un peu trop important. Réduire la population mondiale est possible et ne serait pas totalement inutile dans ce cadre, mais semble être une solution trop peu efficace à court et moyen terme. De plus, plusieurs forces d’inertie puissantes freineraient nos tentatives de réduire le nombre d’être humains. Une réduction significative de la population mondiale nécessiterait des mesures drastiques, qui contrasteraient avec des résultats faibles. Toutefois, elle n’empêche en rien de se consacrer à d’autres mesures en parallèle et peut permettre de prévenir d’autres risques sur lesquels nous ne nous sommes pas penchés ici. Il y aurait énormément à dire sur ce sujet mais nous espérons en avoir éclairci les grandes lignes !

 

Léo Pham pour HelloPlanet

 

Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? - Emmanuel Pont

  1. O’Neill, 2010, Global demographic trends and future carbon emissions - Climate and Global Dynamics Division and Integrated Science Program, National Center for Atmospheric Research, Boulder, CO 80307, USA. boneill@ucar.edu

https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-9-page-1.htm

https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2020-1-page-1.htm

https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/10/face-a-la-crise-climatique-des-humains-trop-nombreux-ou-qui-consomment-trop_6149333_3244.html

https://www.youtube.com/watch?v=Cs5nFYARCJg

https://www.lexpress.fr/monde/vers-un-effondrement-de-la-population-mondiale-en-2100-pourquoi-il-faut-rester-prudent_2179144.html

https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/la-population-mondiale-risque-de-diminuer-de-moitie-dici-la-fin-du-siecle-1783516

https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/la-population-mondiale-pourrait-decliner-a-partir-de-2064-1223698

https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/nations-unies-publient-nouvelles-projections-population-mondiale-2019/

https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/societe/la-population-mondiale-pourrait-decroitre-a-partir-de-2065/

 

Images :

Foule à Buenos Aires, 2022 - AP Photos, Rodrigo Abd

Graphique croissance de la population mondiale - Futura Sciences

Graphique inertie démographique - Sfé, Anne T

Photos enfants Chinois - Libération

Foule 2 - Arte

 

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