MIEUX COMPRENDRE LE DROIT À L’AVORTEMENT RÉVOQUÉ AUX ÉTATS-UNIS.

Le 24 juin 2022 tombait le verdict de la Cour Suprême des États-Unis : annulation de l’arrêt « Roe v. Wade » rendant le droit à l’avortement non obligatoire et au libre arbitre de chacun des 52 états du pays. Un véritable recul des droits des femmes qui choque la communauté internationale. Aux États-Unis la décision ébranle et divise mais ne surprend pas.

 

DOSSIER

LE RECUL DES DROITS FONDAMENTAUX AUX ETATS-UNIS : UN PAYS DÉCHIRÉ ENTRE PROGRESSISME ET CONSERVATISME.

 

ROE VS WADE

Nous sommes en 1970, Norma Corvey, le véritable nom de « Jane Roe », souhaite avorter de son troisième enfant n’ayant pas les ressources mentales et économiques pour l’élever. Mais toutes les cliniques autour d’elle refusent de pratiquer l’avortement redoutant les lourdes sanctions (fermeture définitive) du gouvernement fédéral. Les avocates, Sarah Weddington, Gloria Allred et Linda Coffee se saisissent de l’affaire pour contester la constitutionnalité de l’interdiction de l’IVG.

La démonstration est simple : la criminalisation de l’avortement est contraire aux principes défendus par le 14e amendement de la Constitution qui affirme notamment, la nécessité de garantir l’égale protection des citoyens américains face à la loi.

Le 22 janvier 1973 la Cours Suprême donne raison à « Jane Roe » contre l’avocat texan Henry Wade. La victoire est nette 7 voies contre 2.

Fichier:Norma McCorvey (Jane Roe) and her lawyer Gloria Allred on the steps of the Supreme Court, 1989 (32936173946).jpg — Wikipédia

"Jane Roe" et son avocate Gloria Allred en 1989 lors d'une manifestation pour le droit à l'avortement.

 

L’INFLUENCE DES PRO-LIFE AUX USA.

Le mouvement PRO-LIFE ou PRO-VIE émerge au 20e siècle, sous fond ségrégationniste et par soucis de perpétuité d’une élite blanche et privilégiée. Il est souvent proche des mouvements religieux chrétiens qui prônent le « droit à la vie » fermement opposés à l’avortement, à toute forme d’euthanasie et parfois à certaine forme de contraception.

Le fœtus est pour eux un être humain à part entière. Pratiquer l’avortement serait alors un véritable meurtre et une appropriation des pouvoirs du Divin. Cependant, les PRO-LIFE ne sont pas forcément contre la peine de mort. Un paradoxe récurrent et plutôt révélateur de la portée politique et conservatrice de ce mouvement.

More U.S. states look to advance 'heartbeat' abortion restrictions | CBC News

Cette idéologie prend réellement de l’ampleur et s’immisce dans la vie politique à partir des années 70 en réaction à la jurisprudence « ROE v. WADE ».
Naissent alors les plus grandes associations du pays : « Moral Majority », « National Right to Life Committee », puis « Operation Rescue » qui se sont fait connaitre avec leurs actions de « sit-in » devant des cliniques pratiquant l’avortement dans les années 90.

Une influence marquée au sein du parti Républicain dont la position officielle depuis une dizaine d’année est essentiellement PRO-LIFE (cf. L’affaire des propos sur le viol de M. Akin élu républicain dans le Missouri), même si l’on observe des divergences au sein du parti qui se matérialise autour de l’organisation « Republicans for Choice » qui supporte la légalisation de l’avortement au Sénat notamment.

 

LE TOURNANT TRUMP

Mais jusqu’alors, la jurisprudence ROE v. WADE protégeait les femmes de tous les États dans leur droit à l’avortement jusqu’à 24 semaines de grossesse rendant une jurisprudence supérieure aux lois et décisions des États américains (avec cependant quelques limitations des libertés observées dans 23 États dirigés par des républicains).

C’est la présidence Trump qui va tout chambouler.

Durant son mandat, trois des neufs juges de la Cour Suprême américaine, soit la plus haute juridiction des États-Unis, quittent leur siège. C’est au président actuel de les remplacer en proposant des représentants du parti qui portent ses idées politiques.

C’est ainsi qu’entre 2017 et 2020 Donald Trump place à la Cour Suprême Neil Gorsuch (2017), Amy Coney Barrett (2020) représentante de la droite religieuse américaine et enfin Brett Kavanaugh (2020) qui affichait clairement avant son accession au siège de juge l’envie de revenir sur certaines des plus importantes jurisprudences américaines concernant les droits fondamentaux.

 

 

LA DECISION DU 24 JUIN 2022

Début mai 2022, un projet d’arrêt fuite dans la presse. Ce dernier annulerait les effets de l’arrêt ROE v. WADE et permettrait à chaque état de décider de sa politique concernant l’avortement.

Malgré les manifestations et les protestations à travers le pays, le vendredi 24 juin 2022, la Cour Suprême enterre définitivement 50 ans historique de droit national à l’avortement.

 

De gauche à droite : Amy Coney Barrett (2020, Donald Trump), Samuel A. Alito (2006, George W. Bush), Neil Gorsuch (2017, Donald Trump), Brett Kavanaugh (2020, Donald Trump) et Clarence Thomas (1991, George H. W. Bush).

De gauche à droite : Stephen Breyer (1994, Bill Clinton, remplacé par Ketanji Brown Jackson, Joe Biden), Elena Kagan (2010, Barack Obama) et Sonia Sotomayor (2009, Barack Obama).

Le juge en chef John G. Roberts (2005, George W. Bush) se positionne comme « médiateur » en adoptant un vote séparé en faveur d'une loi qui interdit l’avortement après 15 semaines.

John G. Roberts, Jr. — Wikipédia

 

 

Victoire nette et cassante du conservatisme à la Cour Suprême. L’arrêt R v. W est selon eux « totalement infondé ». « La Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit » écrit le juge Samuel Alito.

Le 14e amendement permet de garantir l’égalité des citoyens devant la loi. Des termes aussi larges permettent toute interprétation. A l’instar des grands textes sacrés chacun vient y piocher et mettre en lumière l’interprétation qui sert ses intérêts et ses valeurs.

 

 

VERS UNE RESTRICTION DES DROITS ?

Le virement conservateur de la Cour Suprême ne semble pas s'arrêter à l'IVG, les juges ont clairement énoncé leur envie de se pencher sur d’autres droits fondamentaux afin de les « remanier » et « ramener de la cohérence et de la clarté dans les décisions de la cour ».

 

Directement visé,

  • L’arrêt « Griswold v. Connecticut » ; 1965, concernant le droit à la contraception.
  • L’arrêt « Lawrence v. Texas » ; 2003, rendant inconstitutionnelles les lois contre les relations sexuelles entre des personnes du même sexe.
  • L’arrêt « Obergefell v. Hodges » ; 2015, protégeant le mariage pour tous au niveau national.

 

UNE QUESTION DE LIBERTE INDIVIDUELLE.

The looming battle over abortion in the US - BBC News

Disposer de son corps est une liberté fondamentale.

Celle qui débloque toutes les autres. Ne pas être capable de décider de ce que l’on fait avec son corps, c’est perdre le contrôle, ne plus être en somme qu’une  « habitante de son corps », sans pouvoir le posséder complètement.

 

Avoir un enfant est un acte, un choix, une prise de décision. Mais comment apporter tout ce dont il a besoin à un enfant qu’on nous a forcé à garder.

Paradoxalement, le bébé encore dans le ventre est la chose la plus importante, puis perd tout intérêt et surtout tout soutien une fois né. Comme si ce n’était plus le souci de personne une fois l’enfant né après avoir fait tant débat et indigné tellement de gens lorsque, à l’état de fœtus sa mère voulait faire le choix de la liberté.

An Outright Reversal of Roe V. Wade Isn't All We Should Fear | American Civil Liberties Union

 

Aussi censé et intuitif que ce raisonnement puisse paraître, ceux opposés à l’avortement ne l’envisage pas. Leurs revendications sont basées sur l’affecte et sur des croyances profondes qui ne peuvent être changées ou rediscutées. Un enfant est un cadeau de Dieu. Nous n’avons pas le pouvoir et surtout pas le droit de contester cet appel de Dieu, ce chemin qu’il nous offre. Et tout cela doit s’appliquer à la communauté entière, c’est une loi universelle, quelque chose de supérieur à la volonté d’un État, d’un Pays, d’une Nation.

Voilà pourquoi des arguments tels que : « If you don’t like abortion, don’t have one » promut par les PRO-AVORTEMENT n’ont pas d’impact sur la communauté PRO-LIFE. La question n’est pas de choisir ou non de recourir à l’avortement, de toute façon, elles n’auront pas recours à ces pratiques. C’est la pratique en elle-même dans ce qu’elle permet qui est inacceptable et mortifère pour les PRO-LIFE. C’est pour cela que le droit à l’avortement, donc à « l’homicide », selon eux doit être interdit et inaccessible à toutes.

 

Maintenant, pourquoi cette victoire du conservatisme religieux est très grave. Les PRO-LIFE considère leur idéologie et leurs valeurs comme universelles. Ainsi, par cet argument, ils prennent possession du corps de centaine de milliers de femmes et décident de la supériorité morale de la vie du fœtus sur la vie de la femme. La vie du foetus est plus importante et doit primer sur celle de la mère qui le porte. Il doit vivre qu'importe les besoins et les choix de la femme (cf. article J.J. Thomson sur les expériences de pensées fulgurantes qui permettent de penser le droit à l'avortement différemment).

Judith Jarvis Thomson et l'argument du violoniste. Vous vous réveillez relié.e à un violoniste mourant qui ne peut vivre sans votre aide, resterez-vous attaché.e à lui neuf mois ? Ou s'agit-il d'un geste purement surérogatoire (de pure bonté)  ? Pourquoi ne pas appliquer la même réthorique avec le droit à l'avortement ? 

 

Ils s’immiscent dans leur rapport au corps. Et de ce fait, entrent dans leur sphère privée et délimitent leurs choix individuels. En s’appropriant la sphère privée le conservatisme républicain oubli la notion fondamentale de vie en communauté. Chacun au sein d’un État doit avoir le droit de croire ou ne pas croire en certaines valeurs, aussi importantes soient-elles pour d’autres.

 

Nous protégeons ainsi l’intégrité et les opinions de chacun et chacune. Par-dessus tout, nous préservons la liberté de croire ou de ne pas croire, de faire ou de ne pas faire. La liberté de CHOISIR.

 

À toutes ces femmes a qui l’on a enlevé le droit de disposer de leur corps.

 

 

QUELQUES RECOMMANDATIONS DE LECTURE SUR LE SUJET :

Un article sur l'organisation des groupes "PRO-CHOICE" aux Etats-Unis à la suite de la décision de la Cour

L'article complet traduit de Judith Jarvis Thomson "Une défense de l'avortement"

Vidéo explicative sur les expériences de pensées de Judith Jarvis Thomson concernant l'avortement 

 

En complément :

Gisele Halimi - La cause des femmes (1973)

Nawal El Saadawi - La femme et le sexe (1975)

Annie Ernaux - L'Évenement (2000)

Camille Froidevaux Metterie - Un corps à soi (2021)

 

Noémie ALCARAS.

 

 

 

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