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Les Masaïs chassés de leurs terres pour le tourisme en Tanzanie

Guerriers d’Afrique de l’Est célèbres pour leurs lances et leurs boucliers qui ornent le drapeau kenyan, les Masaïs sont aujourd’hui et depuis une quinzaine d’années violemment chassés de leurs terres pour des raisons plus ou moins dissimulées. Derrière le prétexte douteux de la sauvegarde de l’environnement, se cachent des intérêts économiques liés au tourisme (10% du PIB Tanzanien avant la pandémie) et à la chasse.

Chassés pour la chasse

L’Otterlo Business Corporation (OBC) est une société de chasse émiratie qui organise depuis 1992 des chasses aux trophées en Tanzanie. Parmi ses clients figurent des personnalités politiques importantes de la région, du premier ministre des Emirats Arabes Unis à l’Emir de Dubaï. C’est le 6 juin dernier que la région d’Arusha, dans la province du Loliondo au nord de la Tanzanie, a annoncé le dépeuplement d’une surface de 1 500km² pour en attribuer l’usage exclusif à OBC. Cent cinquante mille personnes sont concernées par cette mesure.

En réalité, les Masaïs sont expulsés de leurs territoires depuis 2009 (qu’ils occupent depuis cinq siècles environ) par le biais de méthodes parfois très violentes. Cette année-là, environ 200 « Bomas » (villages Masaïs) ont ainsi été incendiés par les forces de l’ordre. Depuis, les méthodes de dépeuplement ont pris différentes formes. L’annonce de la région d’Arusha en juin dernier a été suivie de la mise en place de balises interdisant l’accès au périmètre. Des amendes sont infligées aux Masaïs qui les franchissent. Préférant le troc et disposant rarement d’argent liquide, ces derniers sont contraints de vendre leurs troupeaux pour régler leurs amendes. Les protestations ont entraîné une violente répression qui a fait plusieurs dizaines de blessés.

La politique de dépeuplement s’étend aujourd’hui au Ngorongoro, une immense réserve (8 288km²) plus touristique. Les méthodes qui y sont employés sont donc moins visibles. Elles consistent à offrir des terres aux Masaïs pour les inciter à partir, mais relèvent plus de la coercition que de la proposition. En effet, restreints dans leurs déplacements, les Masaïs encore sur place ne peuvent parfois plus emmener leurs bêtes s’abreuver. De plus, les autorités ne délivrent plus le moindre permis de construire dans la réserve et empêchent la rénovation des bâtiments. Hôpital en sous-effectif, écoles et églises rasées, la région d’Arusha fait tout pour rendre le Ngorongoro inhabitable aux Masaïs. En apparence plus « douces », ces méthodes ne rentrent pas dans le cadre des directives du Haut-Comissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui dans un cas comme celui-ci demande aux Etats de « respecter le consentement préalable des peuples autochtones » et « d’obtenir leur consentement libre et éclairé lorsque la préservation des ressources naturelles qui sont associées à leur mode de vie et expression culturelle est menacée »[1].

Les concernés sont ainsi déplacés quelques centaines de kilomètres plus loin, sur des territoires déjà occupés par des Masaïs sédentarisés aux modes de vie différents, qui voient des maisons construites sur leurs terrains sans leur consentement.

Un prétexte douteux

Pour justifier leurs mesures, les autorités brandissent l’étendard de la sauvegarde de l’environnement. Or, les grandes instances de protection de l’environnement reconnaissent aujourd’hui le rôle des Masaïs et de leurs pratiques pastorales et agricoles dans sa préservation. Ils ne tuent plus d’animaux sauvages, et leurs troupeaux participent à entretenir la savane, broutant les plantes et fertilisant les sols. Selon Key Biodiversity Areas, 91% des terres des peuples indigènes sont dans de bonnes conditions écologiques.

Interrogé par Le Monde diplomatique, Abel (nom d’emprunt), un Masaï qui a préféré rester anonyme, déclare :

« Ce n’est pas le gouvernement qui va nous apprendre à préserver la nature : contrairement à ces riches étrangers, on ne tue pas d’animaux sauvages, on vit avec eux depuis toujours. Ce n’est pas nous qui les mettons en danger ! »[2]

Très affectés par le changement climatique, les Masaïs voient donc leurs vies bouleversées par des mesures prétendument écologiques. Non seulement ce discours n’est qu’une façade, mais il sert une cause tout aussi peu écologique que l’expulsion des Masaïs.

Une « chasse durable » ?

OBC, qui vend une « chasse durable », propose en réalité des services dénoncés par des associations kenyanes, où la chasse est interdite depuis plus d’un demi-siècle[3]. Le gibier serait ainsi rabattu en hélicoptère avant d’être abattu par les clients de la société. Au commencement de ses activités dans la région, le Kenya a remarqué une diminution notable du nombre d’animaux sauvages présents dans le pays, probablement du fait de la chasse dans le Loliondo, par lequel la faune kenyane transite.

Une persécution qui ne date pas d’hier

Au début du XXème siècle, rappelle Le Monde diplomatique, 50 à 70% du territoire des Masaïs avaient été saisis par l’administration coloniale britannique, au même prétexte qu’aujourd’hui : laisser prospérer la faune. Derrière la même façade, le même mobile : ouvrir un terrain de chasse aux colons anglais, qui venaient de réduire considérablement la population de tigres dans leurs colonies en Inde. Au nombre de 50 000 à la fin du XIXe siècle, l’espèce est tombée à 1 400 individus au plus bas en 2006 (Les recensements de 2022 sont toutefois encourageants et la barre des 3000 tigres indiens a enfin été franchie).

Au-delà des excuses écologistes trouvées par les gouvernements pour justifier l’expulsion des peuples autochtones, en réalité souvent liée à des intérêts économiques, une certaine vision de la nature est en cause qui subsiste depuis les colonies. Dans une tribune pour Le Monde[4], Guillaume Blanc, historien de l’environnement, explique que l’imaginaire occidental d’un « Eden Africain » s’est construit au XIXème siècle. Celui-ci continue de biaiser nos représentations du continent et de sa biodiversité, que nous idéalisons comme « vierge et sauvage », dépourvue de sociétés humaines. En réalité, l’Afrique est le « produit de l’interaction entre un milieu semi-aride et des populations capables d’en manipuler les subtilités locales », populations dont nous savons aujourd’hui qu’elles s’intègrent parfaitement dans leurs écosystèmes. A l’image des Masaïs.

L’occasion de rappeler que l’Homme en lui-même n’est pas tant une menace pour la nature que le mode de fonctionnement de ses sociétés.

 

Léo Pham

 

Sources :

[1] Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones : https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/UNDRIPManualForNHRIs_fr.pdf

[2] Cédric Gouverneur. (2023), « En Tanzanie, les Masaïs expulsés pour le tourisme et la chasse » Le Monde diplomatique, avril, pp. 8-9.

[3] C.L. (1977), « La chasse est interdite au Kenya » Le Monde, 21 mai.

[4] Guillaume Blanc. (2015), « Protège-t-on la nature africaine au nom de vieux clichés coloniaux ? » Le Monde, 7 décembre.

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